Remplissons bien ces panses qui sont déjà si grasses !
Enfournons des bouchées sans jamais crier grâce !
Versons-nous donc à boire pour faire passer les plats !
Enivrons-nous, bien sûr, mais avec quel éclat !
Il faut que nos athlètes du grand tube digestif,
Les champions de la table, soient en forme au grand soir :
Les mâchoires entraînées pour ce dîner festif
Oublieront la fatigue pour servir de pressoir.
Nos lèvres si musclées feront, elles, le versoir,
Sans lesquelles, impossible de boire le digestif…
Rotez donc s'il le faut pour chasser le trop-plein
En mettant votre main devant votre orifice.
Vous avez fait l'effort, que dis-je ? le sacrifice,
En venant vous forcer à manger, on vous plaint…
Il en faut du courage pour avaler tout ça :
Les gros morceaux tout gras du foie du palmipède,
Les marrons et la sauce autour du quadripède,
Ou les huîtres, les crabes et les cailles d'Odessa…
N'oubliez pas les fruits, après la bûche glacée,
Sinon vous pourriez bien ne pas avoir assez…
Redoutez les lourdeurs au sortir de la table !
En vain, vous vous sentez comme le bœuf à l'étable…
Ventre tendu, bouffi et la bouche pâteuse,
Et si l'on tire la langue, eh bien, elle est plâtreuse !
Il est vitreux, votre œil, du bon vin absorbé.
La main n'est plus très sûre, les doigts pourraient tomber…
Les jambes sont faiblardes et les pieds hésitants.
On dirait qu'ils n'ont plus, le temps d'une mi-temps,
Ni le goût d'avancer, ni la mémoire utile
Si l'on veut bien rentrer au carrosse qui rutile…
Riez des pauvres niais, qui envient votre argent !
Ecartez vos mâchoires pour faire passer les mets !
Vous savez ce qu'ils coûtent et que pour bien des gens,
En un mois de travail, leur salaire leur permet —
Il faut encore qu'ils bossent, il y a un minimum —
Le strict nécessaire pour manger, se vêtir,
Le loyer pour loger, la télé, s'abêtir
Ou boire jusqu'à plus soif, pour supporter les hommes…
Nul point commun flagrant avec tous ces gens-là,
Sauf au petit matin, quand on est vraiment las.
Retournons les cerveaux, ils ont bien des sillons…
Ecartons mieux les lobes, pour la compréhension !
Vers "Occupy Wall Street", j'ai senti la tension
Et le frémissement des gentils moinillons…
Il est temps qu'ils s'éveillent, les veaux majoritaires,
Lapant le lait fétide, qui se répand par terre,
Lorgnant d'un air hagard, le spectacle des Grands.
Oublieux de l'esprit, ils sont dépositaires
N'attendant que l'instant où leurs neurones migrants
Se focaliseront de manière unitaire…
Regarder de vos yeux le territoire des dieux,
Ecarter les paupières pour lécher la lumière,
Vomir des torrents noirs au fond de l'entonnoir,
Etreindre des corps mous, sans craindre les remous,
Illuminer l'enfer pour savoir quoi en faire,
Louer Dieu en public, voler la république,
Lutter pour la justice jusqu'au moindre interstice,
Observer les étoiles pour les coucher sur toile,
Noter sur un cahier que l'art s'est écaillé,
Savoir quitter la pièce, en inspirant la liesse…
Remarquez que j'hésite à vraiment en parler…
En fait, c'est délicat, et je suis pris par les…
Vestiges de vains scrupules, pour dire la vérité.
En vain, je me rapproche avec témérité…
Il est lourd, le moment, où mes doigts onguleux
Lèveront le couvercle du tombeau anguleux,
Laissant la puanteur envahir le matin.
On ne se verra plus jamais du même regard,
Nous oublierons enfin le divin baratin,
Soulagés des délires moisis dans les hangars.
Racontons le réel, tel que nul ne l'aborde.
Eveillons les consciences, avant qu'elles ne débordent…
Vautrés dans l'illusion, nos neurones sont à l'aise
Et il faudra oser inspirer le malaise.
Il s'agit de casser la pyramide magique,
Libérant les esprits de leurs brouillards tragiques,
Liquéfiant les croyances, qui ont nourri nos rêves.
On ne fait pas d'omelette sans une violence brève,
Ni de révolution sans que l'ordre ancien crève…
Sachons trouver le temps pour nous battre sans trêve !
Raidi par le froid vif, l'esprit bien engourdi,
En mercenaire blasé, vers quel complot ourdi
Vos pas seront guidés, comme tirés par un fil ?
En joyeux automates, vous marchez à la file,
Ignorant les dangers que vous n'avez pas vus.
La mort viendra vous prendre, à l'instant imprévu,
Liant vos membres gourds, comme on fait au chevreuil.
On pleurera sur vous et on fera son deuil.
Nul doute que les suivants connaîtront le même sort,
Sans savoir que leurs pas collent aux mêmes ressorts.
Rien n'est pire qu'un savant qui croit tout bien savoir,
Et les doctes docteurs qui refusent la critique
Vous rendront moribonds ou bien paralytiques.
Elle est bonne, la raison, pour qu'on se fasse avoir…
Il nous manque l'essentiel pour comprendre le ciel :
La machine à penser est aussi programmée,
Limitant ses actions au cercle du possible,
Où ses tirs se limitent à atteindre la cible.
Nous pouvons bien servir nos discours enflammés
Sur un lit d'ambitions, fous furieux en mission !
Rappelez-moi un jour, ce que je dis toujours…
Et profitez-en donc, avant que mes mots tronquent
Vos vérités premières, qui grouillent à la lumière !
Ecartez les soupçons, qui s'accrochent à l'hameçon,
Ignorez les indices, qui vous montrent les vices
Lardant vos opinions de primates trop mignons…
Le ciel n'est jamais clair dans le regard des clercs,
Où la noirceur s'allume, à la voix, sous la plume,
Nouant d'obscurs lacets, mais les âmes se lassaient
Si bien qu'elles vont migrer loin des dieux dénigrés…
Rions du vent mauvais qui souffle sur nos têtes !
Enflées, nos voiles s'en vont tirer nos corps d'esthètes.
Veines gonflées d'orgueil, sur nos membres musclés,
Epanouis par l'effort, au long des vies bâclées,
Il ne manque pas d'allure, le char de nos trophées,
Louvoyant sous la brume, nos sanglots étouffés,
Liturgie déployée, pour attirer les dons,
Oubliant les dommages des espoirs trop bidons.
Nous courons vers la mort d'un pas bien empressé,
Sans penser à rien d'autre qu'à nous bien engraisser.