Comme c'est bon de sentir sa supériorité.
Humaniste, on prélève dans notre superflu,
Apportant un peu d'aide aux pauvres et aux exclus.
Rien n'est plus agréable que l'infériorité :
Il en faut chez autrui, pour se sentir plus grand
Tant on s'ennuierait ferme, si le moindre émigrant
Etait égal à nous, en fortune et en tout !
C'est si bon de donner quand on a bien trop pris !
Honnête homme, on se croit. On a payé le prix…
Avec quelques piècettes, on allège le mépris,
Ravissant la vedette à tous les malappris.
Il est clair que nous sommes ce qu'on nous a appris,
Transmettant les valeurs bien reçues quand on prie
Et si jamais j'ai faux, c'est que j'ai mal compris…
C'est un geste qui coûte, un peu, à mon tas d'or.
Heureusement, il pousse plus vite et puis j'adore,
Avec un grand sourire, au mendiant qui se dore,
Répandre quelques pièces, plutôt qu'argent qui dort.
Il me plaît de donner, au pauvre qui s'endort :
Tirant sur sa bouteille, au fond d'un corridor ;
En faire-valoir ultime, il n'est pas inodore…
C'est Dieu qui a créé les pauvres et les pêchés.
Honteux d'être trop riche, je donne à l'évêché,
Accordant au passage, au mendiant éméché,
Rien que quelques écus, pour qu'il aille bien lécher
Ignoblement l'alcool, auquel, bien accroché,
Tout son esprit aspire, dans sa vie amochée,
Et moi, je suis léger, c'est l'effet recherché…
Caressez bien les pièces que je vous ai données !
Hâtez-vous de payer vos dettes et pardonné,
Allez donc prier Dieu et vous bien savonner !
Remerciez-moi, bien sûr, mon bon subordonné,
Il le faut, même si nul ne l'a ordonné,
Tant vous mériteriez, esprit abandonné,
Et de mourir de faim, et d'être bastonné !
C'est pour vous, cet argent que je lance sur la table.
Honnêtement gagné, ce n'est pas équitable.
A dire la vérité, je suis bien charitable,
Rendant de mes deniers pour payer votre étable !
Il n'est rien de meilleur qu'un ami véritable…
Touchez donc mon habit comme il est confortable
Et rêvez d'un pareil, dans un sommeil rentable !
C'est pour ma bonne conscience. Acceptez mon argent !
Humainement, je sais, c'est un peu dérangeant.
Alors oui, j'ai volé cet or désobligeant —
Rien ne peut compenser ce passé affligeant —
Il faut me pardonner d'être désobligeant
Tant j'aimerais bien faire. Soyez donc obligeant
Et voyez en mon geste un pas encourageant !
Combattre par un geste l'impopularité,
Houspiller les rebuts qui l'ont bien mérité,
Arracher un sourire à leur altérité,
Rendre un peu du bonheur dont on a hérité,
Injecter de l'espoir en toute sincérité,
Torpiller le malheur, son exemplarité,
Et transmettre en mourant sa chère hérédité !
Comme une bonne pommade au beurre de karité,
Humblement, on transfère quelques liquidités,
Aplanissant un peu quelques disparités,
Ravaudant un tissu social trop irrité.
Inutile de venir trop nous solliciter :
Tout ce qui nous rapproche de l'uniformité
Est un monstre effarant par sa difformité.
C'est bon d'avoir bien plus et de donner un peu.
Heureusement qu'il y a tous ces pauvres à genoux !
A voir tant de misère, nos estomacs se nouent…
Retrouvons l'appétit ! C'est facile et on peut
Intervenir à temps pour sauver quelques gueux
Touchés par le malheur qui couche les moins fougueux.
Enfin, l'on peut roter, sans être tourmenté…
Calmons les vilains maux parmi les plus flagrants !
Hâtons-nous de cacher le réel trop gênant !
Apportons aux jaloux les plus entreprenants
Réponse à leurs reproches, qu'ils soient petits ou grands…
Il est bon de penser que nous sommes restés
Terriblement humains, sous nos airs détestés,
Et notre argent parfume la planète infestée…
C'est la dernière fois, on ne m'y prendra plus.
Honteusement hué, mon aumône n'a pas plu !
Alors que je vantais ma générosité,
Rabaissant mon caquet, c'est ma voracité
Insultée qui s'est vue dévoilée pour toujours.
Tandis que j'aspirais à mentir au grand jour,
Eh bien, ils m'ont compris, comme s'ils avaient appris…
Crachons un peu de l'or que nous avons volé !
Habilement cachons sous des airs généreux
A la fois tous nos crimes, tous scrupules envolés !
Rien n'est hors de portée de nos cerveaux véreux.
Il en faut toujours plus, et toujours mieux caché.
Trempons nos pains en or dans leurs vies bien gâchées
Et buvons jusqu'au soir leur sang frais du pressoir !
C'est pour boucher les trous dans le tissu social,
Horriblement troué par nos griffes asociales.
Avec hypocrisie, nous redonnons l'argent
Récupéré plus tôt au détriment des gens…
Il faut bien compenser notre inhumanité :
Toujours vivre plus cher, c'est plein d'inanité
Et vomir le trop-plein, c'est moins d'insanités…
C'est parce qu'elle est aussi bien ordonnée, qu'on l'aime,
Honnêtement fondée, commençant par soi-même…
Avec parcimonie, aux toujours démunis,
Regardez-moi verser mon obole argentée !
Il n'est rien de plus beau que mon geste gratuit !
Touchez de vos doigts sales la matière enchantée,
Et ce si bel argent, il pousse dans mon étui…
C'est bon de voir leurs mains tendues pour quémander !
Hochons la tête un peu quand ils vont demander
A recevoir vingt sous, dans leurs deux mains bandées !
Rien ne sert de courir. Ils vont appréhender.
Il suffirait d'un geste, mais qui doit commander ?
Tout bien considéré, rentrons à Saint-Mandé
Et la prochaine fois, nous pourrons marchander…
Comme ma montre en or, les yeux du mendiant brillent.
Habile à faire la manche, comme moi pour la Bourse,
A inspirer pitié, à moins qu'on ne l'étrille,
Regardez l'asticot qui rêve après ma bourse !
Il vit sur le trottoir, comme dans un palais,
Tendant bien loin les jambes, sans craindre le balai,
Et de moi, n'aura rien, ce répugnant vaurien !
Critiquable pratique, qui met l'humanité
Hors du règne animal, car notre vanité
A poussé nos esprits aux pires extrémités
Recherchant toujours l'or comme seule finalité,
Ignorant la misère comme une banalité.
Tandis qu'autour des grands, tout vient à graviter,
En masse, les pauvres gens s'en vont péricliter…
Cours toujours, mon bonhomme, pour avoir mon pognon !
Harpie économique, parasite inutile,
Avec l'or, l'on mesure le caractère utile.
Regarde-toi, zéro, tu vaux moins qu'un trognon !
Il est beau, mon palais, et, toi, couché devant,
Tu fais peur aux passants, du couché au levant.
En t'écrasant demain, ma Rolls suit son chemin…
Calculons bien le coût de la mendicité !
Hérésie pour certains que de donner à perte
Alors que tout se gagne, qu'il faut tout mériter…
Rien n'est à gaspiller, entre nos mains expertes,
Il y a de l'or à faire, avec tous les humains,
Tandis que si l'on donne, c'est en moins dans nos mains,
Et l'on nourrit des bouches, moins utiles que des mouches…