Accrochez-moi ces vers au bout des hameçons,
Caressez leurs corps mous en une bonne leçon,
Reculez de dégoût devant leur jolie danse,
Ouvrez vos bouches exquises déchirant le silence,
Sinon point de poisson, au bout de vos journées !
Tout ce que vous pourrez trouver à enfourner :
Il restera les vers, leur goût, imaginez !
C'est la vie des humains que j'ai ici décrite,
Hideux petits zéros, bien souvent hypocrites,
Et leurs vies pathétiques valent la peine d'être écrites…
Sinon que reste-t-il de leurs cris volatils ?
Accordez-moi l'asile bien insonorisé,
Ce cabinet douillet aux murs capitonnés,
Refusant de soumettre mes vers à la risée,
Offrant à leur valeur un écrin festonné…
Silence dans les chaumières pour la télé qui chante !
Taisez-vous qu'on entende les bouffons qui enchantent !
Il y a dans chaque foyer la fenêtre qui gueule,
Chassée par l'Internet et son moteur Google…
Honni soit l'impudent qui critique le progrès,
Et tire à boulets rouges de son canon en grès,
Sur les merveilles du jour qui font le monde "so grey" !
Alors, combien de fois, vais-je encore versifier,
Cracher mes mots sachant qu'on ne pourra s'y fier,
Radotant mes vieux rêves d'amour diversifié,
Offrant aux yeux hagards, des maux identifiés,
Sans relâche ni remord, sans jamais vérifier,
Tant je suis sûr de moi, de mes dons qualifiés…
Il faut que je m'abuse pour bien intensifier
Ces produits de mon âme, que nul n'a déifiés.
Hors de mon pâle écran, personne n'est gratifié,
Et je suis le seul âne qui ne soit horrifié,
Sachant ce que je sais, ma vue opacifiée…
A quoi bon faire rimer des bouts de vers obscènes ?
Caler des maux obscurs, pour les traîner sur scène ?
Roter des sons abjects, des locutions malsaines ?
Offrir à nul regard des idées qu'on assène,
Sans jamais rencontrer d'oreilles ou d'yeux ravis ?
Tel est notre destin de parasites à vie
Il nous faut accepter de remuer à l'envi,
Comme si l'on pouvait nous maintenir en vie,
Homoncules maladroits, censés semer la honte
Et dans l'indifférence, piteuses interférences,
Survivant à l'ennui depuis notre heure de ponte.
Appuyez-vous sur moi, si je peux être utile,
C'est bien long d'aligner des mots par trop futiles !
Rendez un peu de sens à mes heures qui défilent,
Outrageant le français de rimes au bout des fils,
Souffrez que mon clavier n'ait pas servi à rien,
Tapoté en tous sens par mes doigts de vaurien !
Impulsez à mes vers une force inconnue,
Comme si vos beaux yeux m'allaient porter aux nues,
Harponnant mon destin vers des hauteurs tragiques,
Enseignant le respect à ces moteurs magiques,
Sur la toile d'araignée, où l'esprit va saigner.
Allons, plus qu'un effort et le compte y sera…
Ce seront onze poèmes avec des queues de rats,
Ridicules et tordues, et l'on remarquera,
Oh ! Si quelqu'un les voit… que depuis le dieu Râ,
Sans relâche les humains ont vénéré des dieux…
Tant pis s'ils ont passé, et remplacés, les vieux,
Il y a toujours du jeune, dans le plafond sacré.
C'est le prêt-à-penser de nos cerveaux nacrés,
Habile salmigondis jamais renouvelé,
Et à quoi bon vraiment, si les écervelés
Se contentent aussi bien des bibles d'amphibiens ?
A quoi vais-je m'attaquer, à quel sujet sacré ?
C'est l'argent qui bat tous les records, massacrés !
Regardez comme on tue, on exploite, on déporte !
Osez un seul faux pas et se ferment les portes !
Sur le dieu des billets, les vies sont sans égales.
Tout le monde est différent, sauf sur le plan légal…
Il n'est pas deux personnes de valeur identique,
Car il y a mille façons d'être un bon argentique :
Humains porte-monnaies, producteurs bon marché,
Elegants portefeuilles, consommateurs mâchés,
Suceurs de pubs télé, petits porteurs lâchés…
Allons ! À quoi ça sert de faire rimer des vers ?
C'est pour remplir les heures et occuper l'hiver.
Riez de mon jargon qui défile sur l'écran !
On est là pour cela, pour faire sauter les crans
Servant à retenir la ceinture de folie,
Tenant le pantalon de vos âmes amollies…
Il me faudra vingt vies pour compléter l'ouvrage,
Cassant tous mes noirs ongles, sur les touches de ma rage,
Homard beaucoup trop cuit, pour espérer pincer,
Epouvantail caché, loin du champ évincé,
Si bien que les corbeaux vont pouvoir se faire beaux…
Après tout la folie des hommes est sans limites.
C'est une bonne raison d'espérer que les mites
Regarderont ailleurs que mes chiffons d'écrits,
Oser donc espérer que des yeux sur mes cris
S'abaisseront pour voir les vers que j'ai tracés.
Tant mieux si un beau jour sur mes os effacés,
Il se trouve un humain pour me bien déchiffrer.
Comprenant que je n'ai jamais pu m'empiffrer,
Héroïque automate, qui n'a jamais choisi,
Evanescent fantôme qui sent fort le moisi,
Sur mes vers putréfiés, osez me réifier !
Alors que sur mon corps l'oubli va retomber,
C'est en vous, mes bons vers, que mon front trop bombé
Remet tous ses espoirs de vrai éternité,
Où vous rattraperez ces années trop mitées,
Sauvant l'honneur fébrile et la fraternité,
Transfigurant les rêves de saine égalité…
Il est bon de glisser dans les délires épais,
Caressant mille pensées qui apportent la paix,
Humanisant l'horreur du quotidien fragile,
Epandage odorant, où seuls les plus agiles
Se feront un fromage du lait de nos hommages…
A la fin, il faut bien reposer son enclume,
Casser le sale marteau et puis jeter les plumes,
Remettant aux orties tous les rêves d'autrefois.
On ne verra jamais ce dont j'ai pu rêver.
Si j'ai eu une idée, qu'elle vienne une autre fois,
Tout est perdu, jeté, et elle va bien crever.
Ils vont se clore, les yeux qui auraient pu me lire,
C'est la vie, qui s'achève, que l'on voudrait maudire…
Humanisme perdu des égoûts du délire,
Enfermement rituel des paradis virtuels,
Sans espoir de retour, je dis "Place aux vautours !"…
Alors c'est le douzième et comme un bon apôtre,
C'est sur lui que l'on compte pour tirer la morale,
Remettant les pendules à l'heure qui est la nôtre.
Oubliez les leçons de tradition orale,
Saupoudrées d'héritages pesant sur nos chorales !
Tout l'or de la planète ne vaut pas un enfant.
Il en est par millions que personne ne défend.
C'est la honte absolue de notre monde immonde,
Humain sur le papier, mais que l'argent inonde
Et noie sous ses dorures, qui fleurent bon les ordures,
Si bien que j'en ricane de tous mes jerrycans…